Lire Lolita à Téhéran
Publié le jeudi 10 avril 2025
Dans son livre publié à l'origine en 2004 et ressorti en France en 2024, Azar Nafisi fait le récit de sa vie. Jeune professeur de littérature anglaise, elle rentre en Iran avec son mari quelques mois après la révolution conduite par l'imam Khomeini en 1979. Elle subit peu à peu le durcissement du régime, la montée en puissance des gardiens de la révolution, la bigoterie qui s'installe à l'université jusqu'à contester ses choix d'ouvrages à étudier puis l'imposition du port du voile. Elle finit par démissionner mais réunit quelques unes de ses étudiantes autiour d'elle pour continuer d'échanger sur cette littérature "interdite" dans une société qui change et laisse sur le carreau des rêves de liberté. Elle finit par fuir le pays. Réfugiée aux Etats-Unis, elle choisit aussi avec cet ouvrage de donner une belle leçon de littérature. Devenu un film en 2024. Un film poignant qui fait revivre cette terrible oppression engendrée par la révolution iranienne qui perdure plus de 45 années plus tard. Une vie a passé...
Extrait
« J'avais, ce printemps-là, en cours de licence, comparé la structure d'Orgueil et Préjugés à une danse du XVIIIe siècle. À la fin de l'heure, quelques étudiantes étaient venues me voir. Elles ne comprenaient pas bien ce que j'avais voulu dire. Y'ai pensé qu'il serait plus facile de le leur expliquer en leur montrant directement de quoi il s'agissait. Fermez les yeux et imaginez que vous êtes en train de danser. Pour vous aider, vous pouvez vous dire qu'il y a en face de vous, en train de danser lui aussi, l'incomparable Mr. Darcy, ou qui vous voulez. J'ai entendu une des filles qui gloussait. Emportée par une inspiration soudaine, j'ai pris la main hésitante de Nassin et je l'ai entraînée à faire quelques pas avec moi. Et un, et deux, et un, et deux. Puis j'ai demandé aux autres de se mettre en ligne, et, quelques instants plus tard, nous étions toutes en train de danser, nos longues robes noires tournoyant autour de nous, et nous nous bousculions et renversions les chaises.
Elles sont en face de leur partenaire, font une légère révérence, un pas en avant, s'effleurent les mains, et tournent sur elles-mêmes.
Je dis: « Non, quand vos mains se touchent, regardez-vous dans les yeux. OK. Voyons maintenant quel genre de conversation vous pouvez avoir en même temps. Dites-vous quelque chose. » […]
Je considère cela comme faisant partie de votre travail personnel », ai-je ajouté, et jamais je n'avais eu autant de plaisir à faire preuve d'autorité. « Et en avant, et en arrière, arrêtez-vous, tournez. Vous devez former un ensemble harmonieux, synchroniser vos mouvements, toute la difficulté est là. Faites d'abord attention à vous et à votre partenaire, mais ensuite aussi au reste de la salle. Vous ne pouvez pas ne pas suivre le même rythme. »
Un livre, un film
Le 26 mars 2025 est sorti le formidable film éponyme, Lire Lolita à Téhéran d'Eran Riklis avec dans le rôle de la professeure de littérature, Golshifte Farahani, actrice franco-iranienne. Une scène marquante entre autres quand dans son salon, elle fait danser ses jeunes étudiantes comme les héroïnes de Jane Austen dans Orgueil et Préjugés. Un ballet contraint dans lequel les jeunes gens promis au mariage ne peuvent échanger que quelques mots sous le regard de leurs familles. Le poids des usages déjà. Une démonstration parfaite. De l'Angleterre victorienne à l'Iran de Khomeini, quelle différence entre un quadrille et un voile porté en public ?
Le synopsis (voir dans Allo Ciné) : Azar Nafisi, professeure à l’université de Téhéran, réunit secrètement sept de ses étudiantes pour lire des classiques de la littérature occidentale interdits par le régime. Alors que les fondamentalistes sont au pouvoir, ces femmes se retrouvent, retirent leur voile et discutent de leurs espoirs, de leurs amours et de leur place dans une société de plus en plus oppressive. Pour elles, lire Lolita à Téhéran, c’est célébrer le pouvoir libérateur de la littérature.