Littérature française

Brûlez tout !

Publié le vendredi 30 août 2024

Le double portrait d'un journaliste entreprenant et d'un poète aventurier

Entre Paris, Charleville-Mézières et Marseille, c'est une véritable traque que décrit ce premier roman. Il met en scène les dernières semaines d'Arthur Rimbaud rentré très malade dans sa famille après avoir passé 20 ans à Aden et rompu avec son passé et son oeuvre de poète. Il a disparu mais un jeune journaliste relève le défi de le retrouver. C'est pour faire découvrir à ses enfants tout le génie d'Arthur Rimbaud qu'Henri Guyonnet, enfant de Marseille, déroule le fil de cette enquête.

Ce roman a autant le mérite de faire revivre le poète en jalonnant ses pages de larges extraits d'une oeuvre incomparable que de nous faire découvrir un personnage tout aussi exceptionnel à sa façon, Rodolphe Darzens, né en Russie en 1865 d'un père négociant, qui, sera successivement poète, écrivain, journaliste sportif, éditeur, directeur de théâtre. Il meurt en 1938, dans l'anonymat. Nous lui devons pourtant d'avoir retrouvé la trace d'Arthur Rimbaud en même que des poèmes inédits qu'il publiera dans Reliquaires, quelques jours avant la décès à Marseille du poète.

Le livre met en scène une enquête journaliste improbable et ses nombreux rebondissements, use de dialogue truculents, dans le milieu des journaux de l'époque, dans un moment qui voit aussi l'émergence de la bicyclette, mais aussi dans l'intimité d'un homme malade confronté à sa mère, assistée de sa soeur, revenu dans la grande ferme familiale tout en rêvant de s'enfuir de nouveau vers Aden. Beaucoup de dialogues mais aussi des pages très sensible sur les souffrances d'un homme dont les vers libres illuminent encore l'histoire qui se déroule au fil des pages. L'auteur prend quelques libertés avec l'histoire mais fait si bien revivre le poète et son oeuvre, jusqu'à faire intervenir Verlaine qui n'a pourtant joué aucun rôle dans la vraie vie pour exhumer les inédits de son lointain ami. Sait-on que Le dormeur du val en faisait partie ?  Surtout relire Rimbaud maintenant ! Pari gagné pour l'auteur. Et merci aussi pour ce portrait de journaliste, quelques années avant Albert Londres qui lui passa aussi par Marseille. Mais ceci est une autre histoire...


Extrait

« Rimbaud se repose sur le banc de pierre adossé à la ferme.

Aujourd'hui, c'est relâche. Il se sent toujours aussi mal à l'aise avec ses cannes anglaises qui lui scient les aisselles. Depuis deux jours, il arpente cette cour sans résultat encourageant. Il regarde devant lui, comme absent, le portail grinçant sous le porche solennel, les murs d'enceinte, pas très hauts, qui laissent apprécier le pays. À gauche, l'entrée protégée par une marquise, plus loin la métairie où Isabelle s'occupe des bêtes - des mugissements misérables en sortent par moments -, à droite un fournil, à côté la cave sous la bûcherie où il aimait se cacher dans la fraîcheur des latrines et épier les bruits provenant de la ferme, plus loin la grange pour les céréales.

Les enduits gris ciel des maçonneries se confondent avec le climat local. Les fenêtres et ouvertures, elles, sont encadrées par des saillies de pierres du coin, comme des bijoux.

Devant, le puits, la poulie et sa margelle, qu'il enjambait crânement quand sa mère le punissait... Toute la ferme, toute la vie semble avoir été construite autour de ce puits.

Cet endroit représente pour lui le trait d'union avec son enfance, et ses fugues. C'est son repaire, son terrier, personnene peut l'inquiéter à l'intérieur, c'est lui le « daromphe». Si seulement il pouvait en foutre le camp comme il le faisait avant!

[…] j'étais vêtu de neuf, j'aurais vendu ma montre […] - Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les poches et sortons! »