Récit

Cauchemar brésilien

Publié le vendredi 07 février 2025

Les rêves éveillés de Jair Bolsonaro

Cauchemar brésilien est sorti en septembre 2022. Un mois plus tard, Jair Bolsonaro qui visait sa réélection à la présidence du Brésil sera battu par un incroyable revenant, Lula, ressorti des geôles du pays pour un nouveau mandat ! Un scénario digne d'une série. Un fameux feuillleton politique aux relents tout de même tragiques puisque le premier mandat de quatre ans du dit Bolsanaro, Mito pour les intimes, traverse des années Covid particulièrement meurtrières pour le grand pays d'Amérique du sud.

Ce sont presque les hasard du calendrier qui permettent de remettre l'accent sur ce livre écrit par Bruno Meyerfel, journaliste franco-brésilien, correspondant du journal Le Monde, qui a suivi au plus près la présidence de cet improbable président brésilien. Le 20 janvier dernier, Donald Trump, réélu, se réinstallait à la Maison-Blanche. Parmi les invités de la cérémonie d'investiture au Capitole, Jair Bolsonaro était présent ! Ce n'est pas un hasard. L'ex-président brésilien est un fervent admirateur de Trump, presqu'un adepte. Lors de son mandat, il a effectué quelques déplacements pour rencontrer son homologue américain, lequel ne se montrait pas particulièrement sensibles à cet attachement...

L'élève a toujours tenté d'imiter le maître. Coups d'éclat, coups de menton, prises de paroles intempestives, fascination pour la télévision puis pour les réseaux sociaux, une forme de népotisme tant l'ancien militaire s'appuiera fortement sur ses trois fils pour déployer son influence, sans oublier des prises de position populistes, anti-élites aux relents complotistes particulièrement pendant la très meurtrière épidémie de la Covid, bien des parallèles pourraient être établis. Il y aurait presque des similitude dans le parcours mais dans une temporalité inversée... Comme Trump cette fois-ci, Bolsonaro a été lui aussi victime d'un attentat auquel il doit peut-être le coup pouce définitif lui permettant d'être élu. Bref, dans la galerie des leaders populistes, Bolsonaro figure bel et bien même si son parcours reste jalonné d'épisodes baroques...

Bruno Meyerfeld conte par le menu l'ascension du Brésilien. Son enfance d'abord à Eldorado, petite cité de quelques milliers d'habitants dans la région de São Paulo où il gagne déjà un surnom, Palmito, habile à dérober des coeurs de palmiers aux paysans locaux comme à plonger et poser des filets dans le rio Ribeira voisin. Puis son entrée comme cadet à l'Académie militaire sur "les sommets de granit de la Sierra da Mantiqueira" à 170 km de Rio de Janeiro, un apprentissage musclé à la répression "des rouges" de tous ordres, un nouveau surnom, Cavaleō, une réputation - déjà - de contestataire de sa hiérarchie. Sa première véritable affectation, sorti diplômé, à Nioaque, petite ville de 9 000 habitants du Mato Grosso do Sul (Sud). Un Brésil de l'intérieur. Une "morne plaine", entre les jungles amazoniennes au nord et la Pantanal au sud, une zone humide au bord du Paraguay. Le terrain d'étude de Claude Lévi-Strauss qui inspira Tristes Tropiques.

Le chemin sera encore long jusqu'aux jardins du palais présidentiel de l'Alvorada à Brasilia en passant par les casernes de Rio et surtout, l'acte fondateur, la très médiatique protestation de l'officier devenu capitaine, sur le sort des militaires à la fin de la dictature, aux salaires de misère, rongés par l'inflation galopante, totalement déconsidérés par leurs concitoyens après tant d'exactions sur les populations civiles. Tout cela va ouvrir la voie vers la députation et au-delà... Il y aura beaucoup de parrains politiques, de riches soutiens de l'ombre pour accompagner cette montée vers les sommets. Bruno Meyerfeld livre une véritable histoire du Brésil moderne dans un découpage audacieux, multipliant les allers-retours entre passé et présent. Jair Bolsonaro n'est presqu'un véhicule pour nous embarquer dans une formidable fresque à la portée universelle. Comment une grande démocratie moderne a t-elle pu finir par replonger dans un régime extrême ?

Et le feuilleton se poursuit ! Jair Bolsonaro a espéré trois jours après la cérémonie du Capitole que son pays s'inspire de la décision prise par Donald Trump de gracier les... 1500 personnes condamnées pour l’assaut du même Capitole le 6 janvier 2021, et pardonner aux émeutiers de Brasilia. En 2023, deux ans après, des milliers de bolsonaristes avaient envahi et saccagé le palais présidentiel, le Parlement et la Cour suprême. Contestant la défaite de leur leader face au champion de la gauche, Lula da Silva, lors du scrutin de 2022, ils appelaient à une intervention militaire. Près de 400 assaillants ont été condamnés par la Cour suprême brésilienne. Jair Bolsonaro reste néligible jusqu’en 2030 pour avoir critiqué sans preuve le système électoral brésilien avant l’élection de 2022. Il s'estime toujours victime de "persécutions". Le camp Bolsonaro fait campagne pour une amnistie des émeutiers brésiliens par voie parlementaire. Le parquet doit bientôt décider de l’inculper ou non pour « tentative d’abolition violente de l’État démocratique, coup d’État et participation à une organisation criminelle », après que la police a conclu qu’il avait « participé activement » à un complot déjoué visant à empêcher l’investiture de Lula. A suivre donc...


Extrait

« Le monde entier est épouvanté par le langage du président, aussi cru que cynique. Des décennies durant, le Brésil avait pourtant réussi à vendre l'image d'un pap où régnerait « l'homme cordial ». Mal traduite et mal comprise, l’expression est issue du livre Racines du Brésil, œuvre de référence du grand historien Sérgio Buarque de Holanda (et par ailleurs père du chanteur Chico Buarque). Publié en 1936, il explore en profondeur et avec brio la formation compliquée du Brésil. Son cinquième chapie O homem cordial, revient sur un aspect tout particulier de la culture brésilienne: l'affectivité. Soit l'émotion, la spontanéité, l'élan du cœur, l'horreur des formalités sociales des conventions, l'envie intime d'établir un contact ses sible avec ses contemporains. Et non pas, comme cas pu être dit ou répété, une supposée « genillesse » ou de la « politesse » et des « bonnes manières ». Tout l’inverse en réalité.

Pourtant, depuis les années 1920, ce caractère supposément « gentil » du Brésilien devint presque une marque déposée. Le tout, avec la complicité de générations d'intellectuels et journalistes étrangers, trop heureux de dénicher dans cet exotique et lointain laboratoire tropical les qualités qui manquent cruellement à une Europe barbare. […]