Croque-en-bouche
Publié le mardi 09 septembre 2025
Grande cuisine à domicile exclusivement
Une anecdote parmi d'autres : invité par l'Hôtel Royal d'Oslo, Alain Chapel a rencontré un obstacle de taille, son propre pâtissier qui a refusé de faire les célébres bugnes du restaurant du maître faute d'une farine convenable proposée par leurs hôtes. La bonne cuisine, c'était déjà à l'époque des produits de proximité.Si vous en voulez, il faut venir les consommer sur place...
Extrait
« J’ai eu ma surprise, dit Alain. L'Hôtel Royal d'Oslo m'a reçu comme un pape. J'étais le premier grand cuisinier français invité dans ce pays plutôt sobre, plutôt tourné vers les nourritures anglaises. Dans l’immensesalle à manger de pur style 1900 foisonnaient les mimosas, les ro ses et les œillets arrivés de la Côte d'Azur. Les tables étincelaient : linge damassé, vaisselle blanche, cristal, chandeliers d'argent. Dans une corbeille rococo un petit orchestre d'Opéra, en sourdine, violonait du tendre. Dans cette luminosité de fête soixante convives de la « society », en tenue d'apparat, attendaient le moment de manger et de boire la France. Et c'était comme s'ils avaient attendu d'entrer dans une oasis de la vie... Après un délicat festin d'omble et de chevreuil, après les sorbets et les entremets, je tenais à leur offrir ma gâterie de grand-mère provinciale : des bugnes. Mes Norvégiens durent s'en passer. « T'as pas l'intention de m'faire faire des bugnes avec ça? » m'avait demandé Jeannot. Ça, c'était de la farine nor-végienne. Jeannot est de la dernière génération qui a commencé tôt à se faire les doigts sur le sucre. En débutant à treize ans dans un métier manuel, le type qui l'aime y devient jongleur. Je regarde souvent Jeannot jouer de ses tas de farines comme d'un clavier pour y choisir juste celle qui ira pour son ouvrage. A peine a-t-il saisi une poignée de poudre blanche pour la laisser filer entre ses doigts qu'il sait tout d'elle: sa finesse, son satiné, son moelleux, son grain serré ou lâche, son degré de blutage et d'humidité; il devine ses capacités de devenir soufflé, sablé, feuillete, beignet... Alors, si « pas une seule farine n'va », pas une seule farine ne va, j'ai pas à discuter! Mes Norvégiens n'ont pas eu de bugnes. « Ceux qu'en veulent n'ont qu'à venir les manger chez nous », a dit Jeannot. »