Littérature française

L'affaire de la rue Transnonain

Publié le mercredi 23 juillet 2025

De véritable crimes, de fausses raisons d'Etat

L'auteur se met habilement en scène le temps d'un court chapitre. Comme une machine à remonter le temps il nous emmène du 62 rue Beaubourg, à deux pas du Marais au 12 rue Transnonain, l'ancien nom de la rue. Nous sommes en 1834. Louis-Philippe, roi des français depuis juillet 1830 après que son cousin Charles X ait fuit vers l'Angleterre, connait un règne agité. Pas une année sans que n'éclatent des émeutes. Elles sont racontées avec force détails par toutes les gazettes. Les armes parlent. Les soldats tirent à balle réelle. Adolphe Thiers, l'implacable chef du gouvernement, veille à rétablir l'ordre. Le maréchal de camp, Bugeaud, déjà tristement célèbre - il vient de tuer en duel un jeune député - théorise le mode opératoire pour juguler l'agitation des rues. Laisser les émeutiers s'installer, dresser des barricades, prendre confiance et peu aguerris qu'ils sont, ils finiront par rompre sous l'assaut des soldats qui ne feront pas de quartiers. Des victimes civiles ? Non, des insurgés...

Le roman nous plonge dans le Paris de l'époque, ses rues, ses décors plus ou moins soignés selon que l'on fréquente la place St-Georges et l'hôtel particulier de Thiers, les jardins du Luxembourg et tous les lieux de pouvoir de l'époque ou le triste appartement de l'enquêteur Joseph Lutz, policier au passé sombre, aux modestes émoluments, peu apprécié de sa hiérarchie et qui pourtant va vaincre tous ses a priori pour établir la vérité. Par quels enchaînements de circonstances de jeunes gens aux existences certes difficiles mais pleine d'espérances ont pu être piégés par une mauvaise raison d'état ? A sa manière, Jérôme Chantreau mène lui aussi l'enquête et éclaire peu à peu les lecteurs. Nous suivons le destin bousculé de l'échappée de la rue Transnonain, une héroïne malgré elle, coupable idéale, qui a traversé la France pour venir s'échouer à Paris dans la pauvreté. Sa fuite éperdue hors de la capitale sera aussi l'occasion de découvrir l'état du pays, villes, campagnes et bords de mer. Un roman sans doute mais aussi une épopée sociale voire politique. Un sacré livre d'histoire qui se lit comme un policier. Rien de péjoratif dans ce qualificatif. Au contraire. Il n'y a plus aucune raison de ne pas se précipiter pour le lire.


Extrait

« Thiers ajuste ses bésicles.

- Mes amis, trois mois sont passés depuis les troubles d'avril. Trois mois que nous avons rétabli la paix dans le pays, et cependant la presse d'opposition nous harcèle encore de questions. Il ne se passe pas un jour sans qu'une gazette, à Paris ou en province, ne nous remette sous le nez ce qu'elle appelle nos crimes. Cela est du plus mauvais effet.

- On n'a qu'à les faire taire ! tempête le préfet.

— Je vous rappelle, Gisquet, que nous avons renversé les Bourbons pour défendre la liberté de la presse.

- Oh le grand mot ! A quoi sert-elle, la liberté, dans des mains barbares ?

Thiers ne prend pas la peine de répondre et se tourne vers Bugeaud qui, le torse bombé dans son uniforme, observe, par les croisées, les allées du jardin. Le ministre de l'Intérieur poursuit son exposé :

- En réalité, nous n'avons qu'un seul problème, la rue Transnonain. Je me doute bien que vous considérez ces douze victimes comme quantité négligeable, le prix à payer du retour à l'ordre. Je suis aussi de cet avis.

La même chose s'est passée rue Projetée, à Lyon. Une famille massacrée par la troupe, dans sa maison, et cela n'a choqué personne. En tout cas pas au-delà de trois jours. Mais cette fois c'est à Paris, sous notre nez. Depuis, le nom même de Transnonain est le chiffon rouge que les républicains agitent sous le nez du peuple. Nous répétons qu'il s'agissait d'ordre public; l'opposition prétend que c'est un crime. »