Littérature française

Le village de l'Allemand

Publié le jeudi 16 janvier 2025

Entre indépendance et conquête

Il y a toujours chez Boualem Sansal, en toile de fond de ses récits, la montée de l'islamisme et sa dénonciation, que ce soit du côté algérien comme du côté français. Le calme apparent des campagnes algériennes qui 30 ans après l'indépendance vont connaître des massacres de populations civiles menés par le GIA. Et cette fois, il y a aussi cette comparaison audacieuse, suggérée par un des personnages, entre une Allemagne nazie - d'où vient le père des deux garçons héros du livre - qui contraignait ses populations, mettait en oeuvre une solution finale dans des camps de concentration, et les nouveaux prédicateurs de l'Islam qui enserrent de plus en plus des populations immigrées, forcément isolées et résistant difficilement à la pression. Comparaison n'est pas raison bien sûr mais la fiction permet d'explorer bien des limites. Autre message suggéré : il n'existe aucun refuge. Ni dans les territoires d'origine ni dans l'exil. Il faut affronter ses oppositions à moins d'abdiquer sa liberté.


Extrait

« Le village est niché dans une vallée étroite prise entre quatre collines pelées. Les premiers à s'être installés ici avaient clairement le désir d'échapper au regards. Ça remonte aux origines, les tribus s'épuisaient dans leurs guerres ancestrales. Les faibles se mettaient loin de leur chemin et cultivaient la pauvreté pour conjurer la razzia. Ou peut-être la région était elle prospère et bienveillante pour tous, et s'est elle vidée plus tard à la suite de quelque immense malheur, une malédiction, une maladie étrange, un mystère sans nom. La sécheresse aurait suivi comme une tornade et arraché les dernières illusions. Ses enfants seraient partis vers d'autres lieux, d'autres cieux, emportant avec eux une mémoire torturée dans laquelle, par une sorte de prosopopée en boucle dont ils seraient sujet et objet, ils chercheraient vainement l'explication de leur damnation, et en contrecoup, par lassitude, par crainte, ou besoin d'expiation, ils s'empêcheraient de vivre sereinement leur nouvelle vie. Pour qui fuit, l'idée même du refuge est un danger, il y voit le piège dans lequel il finira sa course. »