Littérature étrangère

Radio Vladimir

Publié le lundi 19 mai 2025

Vladimir contre Poutine et ses armées

Filipp Dzyadko est un écrivain Russe dont on comprend à la lire qu'il vient d'un famille de dissidents. Dissidents au régime soviétique qui veut en permanence réécrire l'histoire, réduire ses opposants, lancer ses armées contre ses peuples voisins qui auraient l'idée d'être libres, bloquer journaux, livres, radios qui voudraient raconter une autre histoire que l'officielle. Peu de temps après le début de la guerre contre l'Ukraine, il s'exile d'abord en Georgie, comme beaucoup de ses contemporains, puis en Allemagne, à Berlin où il vit aujourd'hui.

Il venait juste de publier Radio Martyn, un roman qui raconte justement une lutte clandestine via une radio quand il découvre l'existence de Vladimir Roumiantsev, arrêté, jugé sommairement et condamné à six ans de prison, pour avoir monté une radio afin de diffuser des reportages, des témoignages sur l'agression Russe en Ukraine, des musiques aussi, des oeuvres littéraires dissidentes, forcément dissidentes. Filipp écrit à Vladimir dans sa prison et décide aussitôt d'écrire ce nouveau livre. Celui-ci s'ouvre sur la description d'un modeste appartement, "un F1 dans un immeuble en préfabriqué" dans une petite ville, Vologda, à pluieurs centaines de kilomètres de Moscou." Son occupant, Vladimir Roumiantsev, un ouvrier chauffagiste d'une soixantaine d'années, est un fou de radio depuis son enfance et a décidé d'en reconstruire une pour lutter contre les mensonges qu'il soupçonne à propos de cette nouvelle guerre en Ukraine. Elle aura la portée de son immeuble, puis du quartier et parviendra, malheureusement très vite, aux oreilles de la police locale qui, accompagnée d'un juge implacable, saisira le matériel, retournera le petit logement et enfermera l'homme de radio.

Le récit de cette arrestation et des échanges épistolaires qui vont suivre avec le prisonnier vont servir de fil rouge si l'on peut dire à Filipp Dyadko. Lui-même va participer aux premières manifestations qui se sont déroulées à Moscou, mais pas seulement, après le 24 février 2022. Elles seront elles aussi très vitre réprimées. L'auteur dénonce ce qu'il appelle une guerre, une guerre "contre l'Ukraine, une guerre contre l'Europe et l'Amérique, une guerre contre les citoyens russes opposés à sa politique". La politique de Vladimir Poutine. Une guerre qui tue, une guerre qui mutile. Des soldats des deux côtés. Des civils Ukrainiens surtout. "Une guerre contre la mémoire", écrit-il encore. Ce qu'il appelle "des fables historiques en lieu et place de la condamnation des crimes du pouvoir soviétique".

Dès lors il ne cessera pas tout au long de ce réquisitoire (un peu plus de 200 pages, 93 courts paragraphes, presqu'un journal au jour le jour), de nous rafraîchir la mémoire de ce déjà très long règne de l'autre Vladimir, Vladimir Poutine. Guerre en Tchétchénie, guerre en Georgie, en Syrie, en Afrique maintenant, envahissement de l'Ukraine (le Dombass dès 2014, puis l'annexion de la Crimée la même année et enfin l'assaut de 2022 jusqu'aux portes de Kiev). Assassinats de Boris Nemtsov, l'opposant à l'occupant du Kremlin, dès 2015, sans doute celui d'Alexis Navalny en 2024 derrière lesquels on soupçonne la main du pouvoir en place. Filipp Dzyadko a été journaliste, rédacteur en chef de la revue Bolchoï Gorod jusqu'au moment il a été limogé peu après de grandes manifestations en 2011-2012 contre le duo Poutine-Medvedev (présidents-premiers ministres interchangeables). Le titre "Fichez les tous les deux à la retraite" brandi par les supporters du journal n'était pas passé du tout en haut lieu...

Radio Vladimir regorge de références artistiques, littéraires, musicales, rend aussi hommage à tous les leaders d'opinion - impossible de les citer tous - qui luttent, infatigables, dans un pays où s'exprimer peut s'avérer dangereux, mortel souvent. Mention spéciale enfin à l'association Memorial, dissoute au début de 2022 (mais Prix Nobel de la Paix la même année) dont un de ses dirigeants, Oleg Orlov, a été emprisonné. Créée à la fin des années 1980 par des historiens désireux de travailler sur les répressions de l'ère soviétique, Memorial a notamment permis aux descendants de leurs victimes de retrouver leurs traces. Elle a essaimé partout en Europe et dans le monde. Surtout ne pas oublier. Ce livre offre un répertoire de tous ceux qui se sont opposés et s'opposent encore au régime en place à Moscou. A lire pour combattre l'idée selon laquelle il n'y aurait pas en Russie ce même goût de liberté qu'ici. Avis à ceux qui voudraient retirer des bibliothèques les grands auteurs Russes. Ils sont des nôtres !


Extrait

« La deuxième chose qui a changé la vie de Vladimir, c'est la radio.

C'est sa passion depuis l'enfance. En troisième année d'école primaire, alors qu'il feuillette les livres de son frère, Vladimir tombe sur un manuel de physique et se plonge dedans. « Ça m'a captivé. » Dès l'âge de neuf ans, il s'intéresse aux circuits électriques « parce que les appareils soviétiques donnaient l'envie de bidouiller pour améliorer plein de trucs. » C'est un engouement de l'époque. Beaucoup s'essaient à bricoler leurs propres récepteurs radio pour trouver des failles dans le rideau de fer, malgré le risque de se retrouver en prison. Les gens cherchent le moyen de sortir des formes prescrites.

De découvrir quelque chose de non soviétique. Par exemple, une musique interdite.

Dans les années 1970, Roumiantsev, comme beaucoup d'autres, capte la Voix de l'Amérique, la BBC et d'autres radios étrangères qui, en URSS, tombent sous le coup de la loi. On appelle ça les voix ennemies. »