Un jour, il n'y aura plus de pères
Publié le lundi 26 mai 2025
Le récit familial d'un fils à son père
Entre Alger, Paris et Londres, voilà l'histoire d'une famille qui a traversé la Méditerranée quand rester n'a plus été possible. Tout laisser ou presque, pas seulement des biens mais ses aïeux. Recommencer, se réinventer, réussir, tout n'a pas été facile. Les caractères ont souffert et cette souffrance a infusé à sa façon d'une génération à l'autre. Il y a le père, le fils et entre eux cet homme mort dans des circonstances troubles, le père de l'un, le grand-père du second. Quand le petit-fils se met en tête de découvrir une vérité cachée, celle d'un assassinat durant la guerre d'Algérie, il ouvre un à un tous les petits tiroirs de l'existence - famille, amis, proches. Il relit les vieilles coupures de presse, interroge les archives militaires, redoute d'éventuels secrets défense pour des événements qui restent douloureux, explore la carte des territoires de l'exil, Sarcelles, par exemple, un temps, en région parisienne. A la manière d'un Michel Houellebecq qui cite souvent des personnalités du moment dans ses livres, l'auteur croise un de nos contemporains, un homme politique mais chut... Nous voilà plongés dans les débats du moment, anti-colonialisme, culpabilité, repentance, etc.
Mais les archives, même celles qui s'ouvrent, ne suffisent pas. Il faut aussi faire le voyage retour au pays, là-bas en Algérie. D'où vient sa famille, une famille juive, bourgeoise. Le grand-père avait été résistant pendant la seconde guerre mondiale mais pendant les évènements de la guerre d'Algérie qui allait suivre, il sera ciblé par les membres du FLN. Le narrateur se confronte à distance à ces événements, à la déchéance familiale vécue par son père à la mort su sien, l'indifférence ou presque des autorités pour une enquête qui n'a pas abouti, le retour en France, l'exil pas facile. Il s'interroge aussi sur un changement de nom ou plutôt l'évolution du patronyme de la famille dont il prend conscience - de Fedj à Fier - comme pour gommer les origines, perdre un peu de leur identité et plonger davantage dans l'anonymat.
C'est un premier roman, très dense, sur les méandres douloureuses de la filiation comme sur le rôle de l'histoire et de la géographie sur le cours des familles. Il va faire partie de tous ces ouvrages qui continuent inlassablement de questionner nos relations avec ce pays - l'Algérie - qui fit un temps partie - 132 ans - de notre nation. Une histoire qui reste douloureuse des deux côtés de la Méditerranée. C'est depuis Londres où il vivait et où il est retourné que le narrateur a conclu son récit sur une belle formule destinée cette fois à son propre fils : "Epouse ta famille, mais n'épouse pas ta famille." Un autre combat pour l'indépendance. A méditer !
Extrait
« Il a prononcé ces trois lettres, comme s'il n'y avait aucun doute sur la paternité du crime. F, L, N, trois consonnes rapidement évoquées à l'école de la République et qui ont pénétré la pensée collective. Pour ma part, quand j'y pense en fermant les yeux, je les vois apparaître, massives et noires sur un fond orageux d'un sombre brillant. Elles ont marqué au fer rouge l'histoire croisée de la France et de l'Algérie. Une nuit d'hiver, le Front de libération nationale avait donc décidé de sceller le destin de ma famille. Les jusqu'au-boutistes de l'indépendance étaient responsables de ces balles, du sang noir qui sèche, du gosse qui court dans la forêt en hurlant quand, un mois plus tard, sa mère lui apprend la mort de son père. Je me dis que sans un petit groupe de mecs que j'imagine dans le maquis algérien, fusils mitrailleurs en bandoulière, pantalons larges, chemises longues et tombantes recouvertes par des gilets aux nombreuses poches, tout ça n'aurait pas existé et nous, les Fier, nous aurions vécu d'autres vies que les nôtres. Je vois leurs visages sans expression, avec leurs lèvres recouvertes de moustaches, leurs yeux noirs protégés par les fines visières de leurs bérets de toile épaisse. Je les hais. »