Littérature française

Le chemin des estives

Publié le mardi 10 juin 2025

Voyage initiatique au centre de la France

Un mois à pied à "mendier" nourriture, boisson et gîte, c'est une épreuve qui doit s'accomplir à deux. C'est une des règles fixées par le monastère jésuite. Ils sont donc deux novices à partir pour ce temps d'ascèse estival, l'auteur et un "vieux" novice, la quarantaine lui aussi et déjà prêtre ayant exercé dans le civil plusieurs métiers avant d'opter pour le noviciat et confirmer ce choix.

Au moment de boucler son sac à dos, l'auteur y glisse deux ouvrages les Oeuvres complètes de Rimbaud "dans une vieille édition de la Pléiade", un grand voyageur si l'en est, un aventurier qui lui aussi a renoncé à sa vie d'avant, celle du jeune poète qu'il a été. L'autre ouvrage, c'est L'imitation de Jésus-Christ qui aurait écrit au XVe siècle "par un obscur moine allemand". A la fin de sa vie Charles de Foucauld annotait chaque jour les aphorismes saints - des "trésors de haute spiritualité" - dont il est fait comme autant de leçons de sagesse. Une sorte de bréviaire mystique, en tout cas un "best seller" de la chrétienté connu aussi de Sainte-Thérèse de Lisieux, de Corneille, de Fontanelle et jusqu'à Lemaistre de Sacay, figure marquante de Port Royal, traducteur de la Bible. Et le but de cette longue promenade reste Notre-Dame-des-neiges, monastère trappiste qui en 1916 avait justement accueilli Charles de Foucauld. Le cadre est fixé.

Le voyage commence à Angoulême (sur la ligne TGV reliant Paris à Bordeaux) mais nous nous enfonçons très vite sur les sentiers, sous les fondaisons, traversons les campagnes et les villages de la Charente, de la Dordogne, de la Haute-Vienne, de la Creuse, de la Corrèze, du Cantal, - au hasard, Champagnac-la Rivière, Feytiat, Châtelus-le-Marcheix, Crocq, Auriac, etc. - avant d'entamer l'ascension du Massif central, ses sommets, ses puys, ses pllssements de terrain, ses hauts plateaux révélant des paysages où terre et ciel se confondent et redescendre vers la Lozère. Emporté par une écriture très libre, à la fois poétique et philosophique, l'auteur mêle ses états d'âmes et les ressentis que lui inspirent la nature qu'il traverse, les églises et autres bâtis séculaires qui lui rappellent les traces du passé.. Ce n'est jamais prétentieux, c'est souvent touchant, drôle, tendre surtout. Nous caressons avec lui les museaux des vaches qu'il croise le long des prés et qui le fascinent. La tranquillité de ces bêtes apaise ses épreuves.

Ce qui éprouve nos deux pèlerins, plus que la fatigue physique ou les privations, c'est sans doute la fréquentation de leurs contemporains. Qu'il faut aborder, solliciter, dont ils dépendent à tout moment et pour tout. Leur démarche n'est pas facile à expliquer. Il y aura de très belles rencontres, celles que nous retiendrons, généreuses, intenses et puis celles que nous oublierons, les inévitables portes fermés. Confronter à chaque instant la réalité de la vie à leur foi ce sera l'épreuve majeure des deux marcheurs. Ils en ressortiront changés, forcément en changés mais avec une espérance intacte, renforcée même. Miracle, le lecteur devrait être touché de la même grâce.


Extrait

« Le chemin de terre se hisse entre des plantations d'épicéas et de douglas. Des vaches, juchées sur des a-pics qui donnent le vertige, broutent paisiblement. Ces funambules semblent danser sur les précipices. Il y a dans leurs gros yeux des lueurs de joie et de la gaieté dans leur démarche. Ces bères, qui ont passé l'hiver dans l'écurie sombre, captives de l'alignement des râteliers, respirent maintenant la grande santé et nous toisent comme des petits êtres chétifs. Il me plairait de mener ma vie comme une salers en estive: m'octroyer des mises au large saisonnières, dormir à la belle étoile, faire des siestes sous de vieux sapins, me régaler de soleil, d'air pur et de perspectives...

Dans Le Silence des bêtes, la philosophe Elisabeth de Fontenay soutient l'idée qu'il existe un apparentement entre les vivants. Selon elle, entre l'espèce humaine et le règne animal, on ne constate pas de fossé, de rupture, mais une parenté, un continuum. De fait, quand je contemple ces vaches qui pâturent sur les pentes, je ressens plus qu'un vague cousinage: une concordance d'être, une communauté de destins, Oserais-je avouer que je me sens plus proche de ces ballerines que du trailer qui descend la pente à toute allure, l'œil rivé sur ses performances, et qui, dans son indifférence crasse à tout ce qui l'entoure, a manqué de renverser Parsac ? »