Essai

Pourquoi votre prochain patron sera Chinois

Publié le mardi 11 juin 2019

Une prédiction auto réalisatrice ou pas

Pour cet ouvrage, ils sont deux auteurs. Le plus âgé des deux, Denis Jacquet, se présente comme un entrepreneur « impénitent », diplômé d’HEC. Il a notamment fondé Edufactory (du digital learning sur mesure) et l’Observatoire de l’ubérisation. Le plus jeune, Homéric de Sarthe, est un entreprenant startuper (Pitchboy, formation commerciale en réalité virtuelle) mais qui a passé sept ans en Chine, a étudié à l’université Fudan de Shanghaï en Management des Affaires Internationales et parle le mandarin couramment. Le livre est bien fait. Dans une première partie, il mêle habilement le rappel historique. Toute l’histoire de la Chine défile en accéléré, celle qui l’a d’abord vue accéder, il y a très longtemps, au rang vraisemblablement de première puissance mondiale mais dans un monde parallèle à celui de l’occident avant que les contacts ne s’intensifient, puis deviennent conflictuels. Au premier retrait du monde (volontaire) de la Chine (vers 1433, après une expédition sur les côtes de l’Afrique) succède un second (forcé), qui a pour origine les guerres de l’Opium. L’Empire du milieu va être envahi, découpé, humilié. Il subira une guerre civile, divers mouvements révolutionnaires avant l’instauration d’une République populaire et son régime communiste.

BATX vs GAFAM

Comme une grande civilisation millénaire, à l’origine de multiples inventions (le papier, les allumettes, la poudre à canon, la roue à aube, la boussole, le boulier, etc.) a-t-elle pu revenir de tous ces soubresauts et repartir à la conquête du monde depuis… 1978, l’avènement de Deng Xiaoping, lui aussi rescapé à sa manière des années Mao ? Une formidable résilience qui a potentialisé toutes les ressources d’un peuple dur à la tâche, industrieux, entrepreneur, commerçant, jamais résigné, sans complexe, copiant s’il le faut, capable de protéger ses territoires et de partir à la conquête de nouveaux… Lieux communs, clichés ? Les chapitres établissent des parallèles constants entre le passé lointain, le passé proche et ce qui arrive en ce moment même : l’émergence de la Chine parmi les grandes puissances mondiales, sans doute au premier rang (d’ici 2049, 100 ans après la fondation du régime actuel). La Chine produit, s’équipe, achète ce qui lui manque, pousse sa recherche, affirme son leadership, notamment dans les télécoms, la mobilité électrique, l’intelligence artificielle, les trains à grande vitesse, demain la construction aéronautique et sans doute la conquête de l’espace. Déjà, sur terre et sur mer, son projet de nouvelles routes de la Soie (One belt, one road) fait partout débat même si celui-ci est estompé par la guerre commerciale et diplomatique du moment avec les Etats-Unis. Il n’empêche, le PPC (Parti Populaire Chinois) veut voir s’imposer ses entreprises devenir des leaders mondiaux (Alibaba, Baidu, Donfeng, Huaweï, Tencent, Xiaomi, etc.). Les BATX face au GAFAM. Le lecteur avisé trouvera lui-même l’explication de l’acronyme.

La deuxième partie de l’ouvrage s’intitule… Le retour du Dragon. Les amateurs de cinéma et d’arts martiaux comprendront l’allusion. Les auteurs détaillent tous les ingrédients de la recette chinoise : partie unique, protectionnisme, pragmatisme, adaptation permanentes de ses règles, investissements hi-techs, etc. La société chinoise avance au pas de l’oie (militaire). Ses entreprises ne se contenteront pas de leur (vaste) marché intérieur. Qu’il faut certes satisfaire pour ne pas le désespérer, alimenter ses pulsions consuméristes au prix sans doute de certaines restrictions à ses aspirations à plus de libertés démocratiques… Big China mais big Brother ! Quoiqu’il en soit, les entreprises partent aussi à la conquête du monde pour vendre et acheter à la fois. Pas la peine de revenir ici sur le pharaonesque projet de la nouvelle route de la Soie (« One belt, one road ») qui aboutira jusqu’au cœur de l’Europe en passant par l’Afrique. La Chine n’a plus aucun complexe et comme les Etats-Unis en leur temps et qu’elle prétend détrôner va user de toutes les ficelles du soft power pour accroître son influence. La Chine et ses dirigeants ont une vision !

L’Europe en panne

Et l’Europe dans tout ça ? C’est la vraie question. Et sans doute ce livre porte-t-il moins sur la Chine que sur notre monde… empêché. Dans une troisième partie, les auteurs déchainent leurs critiques. Comment le bloc occidental (pour faire simple) va-t-il résister à la vague qui s’annonce ? Absence de vision, lâcheté des politiques (et donc de leurs électeurs), manque de courage, panne du modèle social (qui en gros a préféré le chômage de masse, l’assistance, les grandes entreprises aux PME, le pouvoir d’achat par la baisse des coûts au prix d’une casse de l’appareil productif, etc.), les coups pleuvent ! Comment sortir de cette phase négative ? Revenir en arrière ? Ce serait quoi le monde d’avant ? Réindustrialiser ? Oui sans doute, mais d’abord aller de l’avant. Libérer les énergies. Adopter un (vrai) jeu collectif. Le grand marché est une nécessité pour l’ensemble des pays européens. L’effet de taille jouera à plein. Mais à la condition cette fois d’une vraie vision d’avenir capable d’embarquer tout le monde. Le propos est dur, pessimiste mais il offre quand même quelques perspectives. A condition d’aller vite, de jouer la carte des nouvelles technologies et du digital (comme si ce nouveau terrain d’activité pouvait remettre les compteurs à zéro d’un continent à l’autre), en cinq à dix ans, nous pourrions inverser la fatalité d’un déclin annoncé et irréversible à ce stade. L’Europe a du talent, de l’énergie, des valeurs, une population de 500 millions d’individus plutôt homogène et (encore) riche, y’a plus qu’à ! Et nos amis chinois, à l’autre bout du continent Eurasie, ne seraient sûrement pas mécontents de ce sursaut. Le poids du leadership n’est pas forcément facile à porter. Autant le partager…